« Je ne suis pas prêt à traverser la frontière de Martissant. Tenter une telle expérience m’intrigue beaucoup », clament plusieurs citoyens haïtiens à la question de s’aventurer sur la région sud du pays. Si plus d’un prétend que « le calme » est revenu dans plusieurs quartiers de l’entrée sud de la capitale de la République d’Haïti, la réalité est toute autre. Le journal Passion Info Plus a mis les pieds sur le terrain nonchalant pour vous apporter une topographie à la hauteur des observations et vous aider à comprendre de quoi il en est réellement.
7h50 AM, nous sommes dans l’environnement du stade Sylvio Cator. Billets de voyage en mains, les gens s’empressent pour prendre place à bord d’un bus d’une compagnie de la place, assurant le trajet Cayes/Port-au-Prince. Quelques instants plus tard, le chauffeur, un homme noir, svelte et un peu âgé, tourne le volant pour des premières manœuvres. Ce dernier ne s’est pas attardé pour tourner l’engin, évitant la voie qui mène à Portail Léogane. Surpris, j’observe attentivement en me disant : « bah on abandonne définitivement le théâtre national près du rivage de Bois de Chênes »
Route étroite et blocus en miniature, à 8 heures et 5 minutes, on arrive dans l’espace du marché de 5e Avenue où des petits(es) revendeurs-ses s’accommodent avec entre autres, l’eau stagnante, les poussières de charbon, les résidus d’aliments agricoles, qui créent un environnement insalubre et irrespirable. Sans trop tarder, on est arrivé en face de l’église catholique de Martissant. Déjà, le calme et un silence de cimetière règnent au sein du bus. Si je suis un héros derrière ma plume, ce n’était pas le cas dans ce lieu où j’ai eu une peur bleue qui me poussait à transpirer à grosses gouttes en dépit du climatiseur.
Ma curiosité a fini par avoir gain de cause. Glissant un peu le rideau de la vitre, je voulais avoir une idée sur la quantité de gens qui se trouvait dans la rue. En effet, quelques hommes et femmes empruntent la voie à pied. Certains se sont rendus à l’église ce matin. Des chauffeurs de Moto-taxi bravaient aussi le danger pour transporter des passagers qui devaient continuer à vaquer à leurs activités.
Un minibus assurant le trajet Fontamara/Portail Léogane, bondé de passagers, certains s’installent même au dessus, et de provisions tente de dépasser l’engin à bord duquel je me suis trouvé.
La paix règne, puisqu’à l’évidence je n’ai entendu aucune détonation. Mais, à chaque ruelle des maisonnettes menant à Village de Dieu et Cité de l’Eternel, il y a des jeunes au poste. Le véhicule est arrivé devant l’une des anciennes stations d’essence de la zone. Environ 4 jeunes, parmi eux, une fille, sont assis sur des chaises près de la rue, armes en mains. À la prochaine station de service, je suis stupéfait de voir deux enfants âgés entre 7 à 12 ans en train de vendre de l’alcool à bord d’une petite table et pas trop loin un jeune dans la vingtaine se tient debout avec son fusil d’assaut attaché à son cou. Le voyage se poursuit. A quelques mètres du marché de Fontamara, trois (3) jeunes font signe au chauffeur de s’arrêter. Deux d’entre eux détenaient des fusils d’assauts, tandis que l’autre portait une arme de pointe. Ce dernier s’est approché près du chauffeur, lui demandant si tout allait bien. Ce à quoi le chauffeur l’a rassuré. Ce fut, un court échange qui a pourtant pleinement suffit à paralyser tout le bus. Il n’y a plus d’odeurs nauséabondes au marché de Fontamara où à première vue j’ai pu constater une dizaine de personnes sur les lieux. Quelques réfrigérateurs se trouvent toujours au bord de la rue, mais il n’y a pas de poisson exposé, peut-être qu’il était trop tôt.
De l’autre côté de la rue, la réalité est plus tendue. Au niveau d’une partie de Fontamara, des hommes armés se sont installés presque sur la voie de la circulation. Selon certains témoignages, ce sont des soldats du chef de gang armé, Krisla. L’un d’entre eux est placé en avant, sur une chaise, son arme sur les genoux, avec une valise pour mettre l’argent des recettes récoltées des différents véhicules. Un peu plus près du sous-commissariat de Martissant, c’est le même cas de figure. Des jeunes entre 20 à 30 ans, fument et rigolent tout en étant armés jusqu’aux dents. Sur les lieux, la gent féminine est bel et bien présente. Ces jeunes affichent une attitude de quelqu’un qui n’a pratiquement rien à perdre.
L’environnement en larmes
Comment ne pas toucher à l’aspect environnemental qui est si pressant ? De l’église Sainte Bernadette au local des garde-côtes, le passage dure environ trente minutes. L’état de la chaussée en est l’une des principales raisons. La route est en très mauvais état. L’eau provenant des mornes de Gran Ravin et d’une partie de Martissant se mélange aux détritus et remblais pour former une boue considérable. Les espaces qui servaient de trottoirs sont désormais occupés par des épines de toutes sortes.
Le lieu ressemble quasiment à une zone de guerre. Les impacts de balles sur les murs sont considérables, portant à croire que cette partie du pays n’est pas habitée. L’environnement pleure pour sa dégradation inconcevable dans cet espace propice au tournage d’un film hollywoodien.
En même temps, le trajet continue. Haïti est vraiment en déclin. Les gens ne se sentent pas en sécurité même dans les environs des locaux des garde-côtes. Le pire, même, l’amiral Killick n’est pas en sécurité dans sa base située sur la route nationale numéro 2. Les passagers-ères retrouvent enfin leur souffle au niveau de la centrale électrique Simon Bolívar. Déjà, le voyage s’annonce profitable considérant que le Grand Sud essaye de se relever après les dommages du tremblement de terre du 14 août 2021.
Il est à noter que le droit de passage dans la VAR a un coût. Par exemple, les minibus (pap padap) ont l’obligation de payer un frais à chaque point de contrôle, selon une personne concernée, à chaque passage le montant s’élève à : 2 500 gourdes pour la bande à Izo, 2 500 gourdes pour celle de Ti Lapli et 3 500 pour celle de Krisla. De ce fait, les chauffeurs fixent le prix du trajet Cayes-Port-au-Prince à 1 500 gourdes par personne. Et, pour les compagnies de transport, le prix s’élève à 2 000 gourdes. Ces dernières ont, pour leur part, des enveloppes à remettre chaque week-end aux différents groupes armés. Le montant de cette enveloppe reste un secret bien gardé. En tout cas, si la première République noire libre du monde avait commis un crime odieux, elle en paye les conséquences considérablement.