Martissant et Mariani, un raccourci vers la mort

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Il est 9 heures du matin. Le soleil, mi-figue mi-raisin, se livrait bataille contre les nuages épais. Bois de chêne fume encore ses piles de fatras en polystyrènes, jetés dans sa gorge. Non loin du stade Sylvio Cator, des véhicules de transport en commun et des petits commerçants se confondent presque. Des autobus bariolés de couleur ( jaune, vert, bleue et rouge) branchés de haut-parleurs bourdonnent.


Ce dimanche 12 novembre, on est ici pour un voyage vers la Ville de Léogâne. Pour y arriver, on doit passer exclusivement par la route nationale numéro 2, lieu contrôlé par au moins trois bandes armées. La dernière zone en date qui tombe aux mains des hommes surarmés, c’est Mariani, un vaste quartier qui sépare les communes de Carrefour et Gressier.

Après près de deux heures d’attente pour remplir les sièges, le véhicule démarre enfin à 10 heures 52. Les minutes filent comme le sable de la mer. Un silence de cimetière règne dans l’autobus. “Mwen pa yon ajan Maketing, mwen se Ti Ponyèt“, déclare un homme qui montre son bras gauche aux passagers. Tout le monde reste attentif. Dans cet endroit moribond, celui qui est capable de prendre la parole à haute voix, est un être-dieu ? Un coq de la basse-cour ?


Près du stade Sylvio Cator où se situe la station Port-au-Prince/Sud. Cette photo a été prise discrètement depuis à l’intérieur du bus/ ©️Wilder Sylvain 

On roule dans les eaux boueuses de Portail-Léogâne, de Martissant. À la cinquième Avenue, marchands et boues et eaux s’y tiennent. L’homme, qui s’était présenté comme Ti Ponyèt, après avoir exposé la situation précaire à laquelle il fait face à cause de son handicap, a demandé aux passagers, des morts-vivants, de lui faire un don. Les plus généreux répondent à sa demande. Après, Ti Ponyèt ceda sa place à un “agent Marketing”. On continue encore de rouler dans la mer-terre. Non, dans les eaux stagnantes. Des tonnes de déchets charpentent les deux côtés de la rivière-terre. Non, de la route où le bitume est à rechercher.

Sous-Commissariat de Martissant, troué, il l’est. Les orifices constatés de loin laissent entrevoir des rayons de soleil depuis l’intérieur de l’autobus. Si des agents de la Police sont chassés de ce poste de police depuis pratiquement deux ans, des civils armés devant son entrée. Le chauffeur s’arrête un peu, payant la rançon exigée par des jeunes garçons, dont certains encagoulés. On avance encore dans l’eau. Le chauffeur semble avoir la maîtrise de la leçon : il connaît par cœur là où il y a des égouts et des bouts de fer pouvant percer ses pneus. Il oriente bien son volant. À moins de deux minutes de course, une dizaine d’hommes, visiblement jeunes, demandent aux chauffeurs de verser leur dû. C’est une autre banque de péage à Fontamara.

Les minutes s’égrènent. La chaleur augmente et pousse ses griffes. Certains passagers s’endorment ou ferment les yeux, d’autres branchent leurs oreillettes. Sueurs à flots. Près d’une cinquantaine d’hommes, de femmes et d’enfants s’entassent dans ce “School Bus”. On approche vers la terre des balles. Un nouveau défi pour les passagers et les chauffeurs. Le vide prend corps dans l’autobus. On fait le mort. Mais, le moteur du véhicule, NON. On roule doucement. Une trentaine de minutes plus tard, nous voilà au coeur d’un nouveau “territoire perdu” : Mariani, situé à environ 30 kilomètres de la capitale haïtienne.

Vendeurs de pains, absents. Vendeurs de bouteille d’eau, absents. Vendeurs de gadgets électroniques sur le trottoir, absents. Il ne reste que ces maisons fantômes. On évite d’éternuer. “Bò Dlo”, un endroit symbolique pour les communes de Carrefour et Gressier, reste désert. La poussière grimpe les maisons comme des branches d’arbres. Et les habitants ? Ils ont fui, car le nommé Ti Boutba et ses acolytes ont pris le contrôle de cette zone où croisent quatre départements du pays.

Les colonnes de montagnes abritant les maisons en pêle-mêle à Mariani ne sont plus surchauffées. Quelques petits “tonnels”, faits en bois et de morceaux de draps, sont couverts de poussière. Les commerçants : totalement absents. Les Madan Sara venant, habituellement du grand Sud ont brillé par leur absence. Entre-temps, l’autoproclamé “agent Marketing” se tait provisoirement, laissant place ainsi uniquement au vrombissement du moteur de véhicule.

Nous traversons la route nationale numéro 2 dans une peur bleue. La peur au ventre. Nous avançons vers notre point d’arrivée. Mariani perd ses bruits comme un vieillard édenté. Les rares pompes à essence qui se trouvaient dans ce vaste quartier ne fonctionnent plus. Lorsqu’on quitte ce nouveau territoire perdu, certains d’entre nous tirent leurs portables dans leurs valises. Et le vendeur de médicaments reprend du service parlant des bienfaits de ses produits.

Certains passagers descendent en cours de route. Le véhicule est plus léger et le vent passe par les fenêtres. Ça fait du bien. Nous sommes enfin arrivés à notre destination. Si à Léogâne, il fait midi 47, par contre, à Martissant et Mariani, il fait un temps de peur et à chaque fois qu’on décide de traverser ces zones contrôlées par des gangs armés, on prend un raccourci vers la mort.

Wilder Sylvain

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