Drame à l’Hôpital Général : des journalistes héroïques en première ligne

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La presse haïtienne pleure la perte de deux de ses membres, Markenzy Nathoux et Jimmy Jean, tués lors de la cérémonie de réouverture de l’Hôpital Général le mardi 24 décembre 2024. Plusieurs autres journalistes ont été blessés dans cette attaque armée. Dans ce chaos, Matiado Vilmé, Jephte Bazil entre autres se sont illustrés par leur courage en secourant leurs confrères, mettant leur vie en péril pour sauver d’autres vies.

Une cérémonie sous haute tension

Au centre-ville de Port-au-Prince, dans un environnement sensible et marqué par la peur, des journalistes avaient été conviés par le ministre de la Santé Publique et de la Population (MSPP), Dr Duckenson Lorthé Blema, à couvrir la cérémonie de réouverture de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), fermé depuis plusieurs mois sous la pression des gangs armés.

Aucune mesure n’avait été mise en place pour assurer un déroulement sécurisé de l’événement qui allait être brutalement interrompu par des tirs nourris provenant de toutes parts autour du plus grand centre hospitalier du pays, une zone devenue particulièrement dangereuse en raison de la présence de groupes armés qui y exercent leur contrôle.

Un journaliste assis devant un autre travailleur de la presse allongé au sol, à l’Hôpital Général le 24 décembre 2024©️Jean Feguens Regala

Le bilan est tragique : trois morts, dont les journalistes Markenzy Nathoux et Jimmy Jean, ainsi qu’un policier. Sept autres journalistes ont été blessés, parmi eux Petyon Robens, Réginald Baltazar, Miracle Velondie, Florise Deronvil, Jean-Jack Aspèges, Jocelyn Justin et Rosemond Vernet.

Matiado Vilmé, sceptique dès le départ

La journaliste Matiado Vilmé était aussi présente sur les lieux. Elle a vécu des choses horribles. « Après que les coups de feu ont éclaté, j’ai remarqué que plusieurs journalistes étaient blessés par balles et s’approchaient de moi. J’avais l’impression d’être complètement démoralisée. J’ai immédiatement abandonné la photo que j’étais en train de prendre pour me ressaisir, car le moment exigeait que je reste calme afin de garder le contrôle de la situation », a-t-elle expliqué à la rédaction de Passion Info Plus.

Elle était très sceptique quant à la réussite de cette activité, en raison de l’insécurité qui régnait autour du périmètre de l’hôpital.

« Il n’y avait aucune présence policière visible, raconte-t-elle. Il n’y avait pas d’activité non plus, et la zone n’était pas fréquentée depuis plusieurs mois, donnant l’impression d’un désert. Si je n’avais pas aperçu quelques passants errant dans les rues, je serais repartie sur-le-champ », a-t-elle confié.

C’était comme un film d’action. Les bandits tiraient de toutes parts, des journalistes rampaient sous les balles pour tenter de se mettre à l’abri, tandis que certains s’effondraient, touchés mortellement. Alors qu’il se trouvait à l’extérieur de l’hôpital, Jephte Bazil a échappé de justesse à la mort.

« Si je n’avais pas fait preuve de bon sens, j’aurais pu être tué. J’ai dû localiser les détonations près du Lycée Toussaint, attendre la riposte d’un véhicule blindé, puis filer à l’intérieur de l’hôpital militaire pour sauver ma peau », a déclaré le collaborateur de Machann Zen Haiti, qui a été témoin de la mort tragique du journaliste Jimmy Jean, abattu d’une balle à la tête.

Le journaliste a expliqué également avoir vu un policier cesser de tirer en direction des bandits, avant d’apprendre que l’agent avait été tué.

Matiado Vilmé et Jephte Bazil au chevet des leurs confrères

Ces deux travailleurs de la presse ont frôlé la mort, mais cela ne les a pas empêchés de poser des actes héroïques pour venir en aide à leurs confrères blessés par balles.

« J’ai vu des journalistes traîner, blessés par balles, certains soutenus par d’autres confrères. En vivant ces moments, j’étais bouleversée. Je me suis mise à couvert, tandis que les bandits continuaient de tirer », raconte-t-elle, encore sous le choc.

« Une fois que le calme est revenu et que je ne me sentais plus trop exposée au danger, ma première action a été de contacter les confrères qui n’étaient pas encore arrivés sur les lieux pour leur demander de lancer un SOS pour les journalistes victimes. Ensuite, j’ai dressé une liste des blessés et commencé à leur prodiguer les premiers soins », poursuit-elle. Cela visait à stabiliser l’état des blessés et à leur permettre de survivre jusqu’à leur admission à l’hôpital pour recevoir les soins nécessaires.

« Je mettais les victimes en confiance. Une fois qu’elles se trouvaient dans un endroit plus sûr, je commençais à appliquer des garrots et à bander les parties où les blessures étaient visibles pour stopper l’hémorragie », a expliqué Bazil. Il a également tenté de remonter le moral de ses confrères et consœurs, les rassurant qu’ils allaient s’en sortir.

Des formations mises en pratique

« Cette capacité découle d’une formation organisée par l’Ambassade américaine et la Voix de l’Amérique en janvier 2023, portant sur la sécurité personnelle, les premiers secours et l’adaptation dans les zones dangereuses. Je l’ai mise en pratique pour aider mes confrères couverts de sang », a déclaré la collaboratrice du VOA Kreyòl.


Elle a estimé que cette attaque du 24 décembre aurait pu être moins tragique si les journalistes avaient reçu une formation en secourisme ou en sécurité personnelle. À cet effet, elle a appelé à un meilleur encadrement et à la régularisation des médias en ligne.

La journaliste a déclaré que « cette formation est un outil indispensable que tout journaliste devrait recevoir, surtout les confrères et consœurs travaillant dans les médias en ligne. La plupart d’entre eux n’ont ni mentor ni accompagnement dans l’exercice de leur métier. »


Elle appelle ainsi les associations de médias en ligne à aider les journalistes à accéder à des formations, non seulement en secourisme, mais aussi en sécurité personnelle, afin de leur permettre de s’adapter à des environnements sensibles.

« Le premier réflexe qu’un journaliste doit avoir, c’est de garantir sa sécurité personnelle, puis d’évaluer l’environnement dans lequel il évolue », a ajouté Bazil, bénéficiaire d’une formation en secourisme organisée par le Centre Ambulancier National (CAN). Il estime qu’il est urgent de former les journalistes pour leur permettre de mieux réagir face à des situations similaires.

Plusieurs autres professionnels de la presse ont aidé à leur façon dans cette situation désastreuse, dont le photographe Jean Feguens Regala.


La tentative de réouverture de l’Hôpital Général a laissé des familles endeuillées et soulevé des questions sans réponse. Jusqu’à quand la population haïtienne, en particulier les plus vulnérables, devra-t-elle attendre pour accéder aux soins dans un environnement sécurisé ? Jusqu’à quand les journalistes devront-ils risquer leur vie pour informer ? En tout cas, les bandits continuent d’allonger la liste des victimes, mettant au défi les autorités du pays.

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