
Au mois de mai 2025, Gran Grif et Viv ansanm ont été officiellement désignés par le gouvernement américain comme groupes terroristes transnationaux. Depuis, le mot terrorisme apparaît dans toutes les discussions sur l’insécurité galopante en Haïti. Vu son caractère polysémique et polémique, une question s’impose : que dit effectivement la loi pénale haïtienne sur le terrorisme ?
En novembre 2020, lorsque le feu président Jovenel Moise et son gouvernement avaient publié au Journal officiel dans le n° spécial 40 le Décret pour le renforcement de la sécurité publique instituant dans la législation haïtienne « des actes de terrorisme » comme infraction, c’était une évolution majeure dans le droit pénal haïtien. Avant, aucun texte n’incriminait le terrorisme en Haïti. Pourtant, ce qui devait être considéré comme une révolution normative était rapidement rejeté par la classe politique incluant des juristes qui y voyaient une preuve de la volonté dictatoriale du président souhaitant avec ce texte, disaient-ils, éliminer ses opposants politiques en les gratifiant du titre peu envieux et glorieux de terroristes. Ce mot était alors sur toutes les lèvres. Tout le monde en parlait. On pouvait croire à une découverte.
Depuis l’assassinat du président, malgré l’exacerbation des exactions des groupes criminels haïtiens et leurs terribles conséquences sur le fonctionnement régulier de la société, on n’en parlait plus. Ce terme a disparu. Les autorités, selon un ancien haut fonctionnaire, avaient peur de l’utiliser pour nommer les crimes de Viv ansanm afin de tenter de sauvegarder l’image du pays, déjà très sordide et nauséabonde aux yeux de l’international. Puis, il réapparaît le 2 mai 2025 avec un communiqué du secrétaire d’État américain Marco Rubio annonçant que le département d’État considère désormais les deux gangs susmentionnés comme organisations terroristes étrangères et mondiales spécialement désignées. Depuis lors, ceux qui rejetaient ce mot, l’embrassent. Il revient désormais à la mode malgré la perplexité de certains qui craignent des persécutions politiques américaines. En raison de son caractère polysémique, il peut, en effet, être utilisé comme un outil aux mains des puissants pour neutraliser des opposants ou des dissidents qui ne dansent plus selon leur diktat.
Dérivé du mot latin terrŏr, le mot terrorisme fait référence à une situation de peur intense provoquée intentionnellement dans une communauté par des actions violentes et aveugles d’une personne ou d’un groupe contre les institutions étatiques et la société (V. CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, Puf, éd. 13, 1987). Son acception a beaucoup évolué au fil des siècles, mais la technique de la terreur dans un but politique, religieux ou idéologique l’a néanmoins toujours caractérisé.
Ainsi, en fonction des époques, des pays et les enjeux, certains actes jugés contraires à l’ordre public peuvent être qualifiés de terrorisme d’État, révolutionnaire, identitaire, séparatiste ou indépendantiste… En France par exemple, ce mot a été utilisé pour la première fois à la fin du XVIIIème siècle avec le régime autoritaire de Robespierre en septembre 1793, qui a même fait adopter une loi dite de grande terreur pour officialiser, voire imposer ce mode de gouvernement reposant sur un terrorisme d’État. Un grand changement s’est opéré depuis la fin du XIXème siècle, notamment dans les sociétés démocratiques : l’auteur du terrorisme n’est plus la puissance publique, elle en est la cible. Le terrorisme n’est plus exclusivement lié à la politique, il devient une infraction de droit commun selon la loi des États nonobstant des particularités procédurales visant à faciliter sa répression. Pour autant, son caractère politique ne disparaît pas. Dans les contentieux politiques relatifs aux luttes des peuples marginalisés contre l’impérialisme, l’apartheid et la colonisation par exemple, il reste une arme diplomatique fondamentale utilisée par les puissants pour désigner et neutraliser leurs adversaires. Ainsi, sans surprise, des terroristes du point de vue d’un d’État peuvent être considérés comme héros ou résistants pour un autre État. Nelson Mandela est l’illustration parfaite de cette antinomie. C’est pourquoi, aucun consensus international n’a été trouvé sur la définition exacte à donner au mot terrorisme. Ce sont ainsi les États, dans leur limite territoriale, en fonction des occurrences, qui qualifient à leur guise de terrorisme les actes qu’ils jugent contraires à l’ordre public qu’ils ont établis et qui sèment la terreur au sein de leur population ; ils les répriment par conséquent en choisissant en toute indépendance les peines jugées convenables dans le respect des droits et libertés fondamentaux garantis par leur constitution et les conventions internationales auxquelles ils sont parties.
Il faut par conséquent différencier la définition du terrorisme du point de vue des relations diplomatiques de celle plus juridique intégrée par l’État haïtien dans sa législation pénale afin de pouvoir lutter contre certaines formes de criminalité qui détruisent de plus en plus, non seulement les structures étatiques, mais la communauté nationale dans son ensemble.
Pour appréhender la notion de terrorisme comme infraction pénale dans le droit haïtien, il est primordial d’identifier le texte, ce préalable légal, qui l’a introduite dans la législation haïtienne (I) avant de décortiquer les éléments nécessaires à la constitution de cette infraction (II).
- Le préalable légal
Comme l’exige le principe de la légalité criminelle préconisé depuis très longemps par Beccaria, largement repris dans les pays démocratiques, de tradition civiliste, pour sanctionner pénalement un comportement, il faut une loi. Sans ce texte, il n’y a ni crime ni délit ; toute peine prononcée devient alors arbitraire. En d’autres termes, nullum crimen, nulla poena sine lege. C’est en ce sens, pour se conformer à cette obligation, que le législateur a introduit le mot terrorismedans la législation haïtienne. L’introduction de cette notion dans le droit pénal haïtien s’est toutefois réalisée en plusieurs étapes ; d’abord avec l’incrimination du financement de terrorisme en 2013 (A) suivie de celle des actes qualifiés de terrorisme par le décret du 26 novembre 2020, dont les dispositions seront reprises de manière quasi-identique par le nouveau Code pénal (B).
- Les textes sanctionnant le financement du terrorisme
L’adoption en 2013 de la Loi sanctionnant le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme marque la première étape de la transposition de cette notion dans le droit positif haïtien. Ce texte a été abrogé en 2023 par l’exécutif et remplacé- le parlement étant inexistant- par le décret du 4 mai qui a repris ses dispositions sans aucune modification substantielle. L’objectif de ce texte est précisé en son article 1er : la prévention et la répression […] du financement du terrorisme. Il n’a donc aucunement visé les actes de terrorisme au sens propre du terme. Toutefois, pour faciliter son application par le juge, le législateur a jugé nécessaire de définir certaines notions dont : terroriste, acte terroriste et organisation terroriste.
Ainsi, au paragraphe 25 a, b, c et d, de l’article 6 du décret du 4 mai 2023, le terroriste est défini comme toute personne physique qui commet ou tente de commettre des actes terroristes par tout moyen, directement ou indirectement, illégalement et délibérément ; participe en tant que complice à des actes terroristes ; organise des actes terroristes ou incite d’autres à en commettre ; contribue à la commission d’actes terroristes par un groupe de personnes agissant dans un but commun, lorsque cette contribution est intentionnelle et vise à réaliser l’acte terroriste, ou qu’elle est apportée en ayant connaissance de l’intention du groupe de commettre un acte terroriste.
L’acte terroriste quant à lui est défini au paragraphe 1 (ii) du même article comme tout acte destiné à provoquer le décès ou des blessures corporelles graves à un civil ou tout autre personne ne prenant pas activement part à des hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque l’objet de cet acte, par sa nature ou son contexte, est d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à commettre ou à s’abstenir de commettre un acte quelconque. Par ailleurs, au paragraphe 1 (i), il est indiqué qu’est aussi un acte terroriste tout acte qui constitue une infraction pénale au sens de plusieurs conventions listées dans l’article.
Enfin, est une organisation terroriste au sens du paragraphe 18 a, b, c et d de l’article précité tout groupe de terroristes quicommet ou tente de commettre des actes terroristes par tout moyen, directement ou indirectement, illégalement et délibérément ; participe en tant que complice à des actes terroristes ; organise ou donne l’ordre à d’autres de commettre des actes terroristes ; contribue à la commission d’actes terroristes par un groupe de personnes agissant dans un but commun lorsque cette contribution est intentionnelle et vise à favoriser la commission de l’acte terroriste ou en ayant connaissance de l’intention du groupe de commettre un acte terroriste.
La peine encourue pour cette infraction est de 15 à 20 ans de réclusion criminelle. Sa tentative ou toute complicité est punie de la même peine selon l’article 124 du décret du 4 mai 2023. Vu la peine désormais prévue, en l’occurrence la réclusion, l’État haïtien a donc transformé en crime cette infraction qui était jusque-là un simple délit au sens de l’article 57 de loi de 2013 qui l’avait punie d’un simple emprisonnement qui est par nature une peine correctionnelle (V. art. 9, 26 et suivants du Code pénal).
Si la loi de 2013, abrogée et reprise dans ses dispositions par le décret de 2023, a le mérite d’avoir introduit le mot terrorisme dans l’arsenal répressif haïtien, son utilité est limitée à la seule répression des actes de financement du terrorisme, soit, selon l’article 8 dudit décret, tout acte commis par une personne physique ou morale qui, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, illicitement et délibérément, fournit ou réunit des biens, fonds licites ou illicites, dans l’intention illégale de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou en partie en vue de la commission notamment d’un ou de plusieurs actes terroristes.
Le législateur a donc restreint le champ d’application de ce texte qui ne peut être utilisé pour réprimer d’autres comportements ne pouvant être considérés comme des actes de financement du terrorisme. D’ailleurs, pour l’application de ce décret, on a certes défini le mot terrorisme, mais aucune sanction pénale n’a été prévue pour l’infraction de terrorisme en soi. Les peines qu’il a prévues ont visé uniquement le financement du terrorisme. Une bizarrerie juridique qui peut mettre mal à l’aise le juriste averti ; le financeur va être condamné pour financement du terrorisme, mais aucune peine n’est prévue pour l’auteur de l’acte terroriste qu’il finance. Dans ce cas, le juge est obligé de requalifier l’acte matériel de l’auteur des faits qui a reçu le financement.
Ainsi, la loi pénale interdisant un comportement devant obligatoirement l’assortir d’une sanction, ce décret ne peut dès lors, sans violer le principe de la légalité criminelle, fonder une condamnation ou une poursuite pour terrorisme, infraction distincte de celle de financement des actes de terrorisme qui est son objet et qu’il réprime correctement aux articles 125 et suivants.
Par conséquent, en attendant que le nouveau Code pénal entre en vigueur, s’agissant de la répression des actions terroristes proprement dites, le texte le plus important demeure le décret de 2020 pour le renforcement de la sécurité publique.
B. Décret du 26 novembre 2020 et le nouveau Code pénal criminalisant les actes de terrorisme
Dans le droit positif haïtien, c’est-à-dire celui actuellement en vigueur en Haïti, le décret du 26 novembre 2020 pour le renforcement de la sécurité publique reste le texte le plus important concernant la répression du terrorisme. Il est, en effet, le seul texte sur lequel peut se fonder une poursuite ou une condamnation pénale pour actes de terrorisme : il a redéfini l’infraction, fixé les peines encourues par son auteur et identifié les personnes, physiques ou morales, à qui elle peut être imputée.
Le législateur définit le terrorisme à l’article 1 dudit décret comme un ensemble d’infractions de droit commun qu’il a listées, commises en relation avec une entreprise individuelle ou collective, dans l’objectif de troubler, au nom d’une cause affirmée ou non par la terreur, l’ordre et la paix publics ; il entérine en outre comme terroriste des actes prévus comme tels par les traités internationaux autant que par les lois de la République. Ainsi, exceptions faites du terrorisme écologique, de celui par groupement formé ou entente établie, de celui par financement, qu’il incrimine aux § 9, 10 et 11 de l’article 1er, et du terrorisme constitué du seul fait ne pas pouvoir justifier de ressources prévu à l’article 649 du Nouveau Code pénal, constituant tous de nouvelles infractions, l’ensemble des autres actes de terrorisme sont déjà incriminés.
Le nouveau Code pénal reprend en son article 647 la même définition. Le législateur a toutefois pris le soin de réduire à 12 paragraphes les séries d’infractions pouvant entrer dans le champ d’application de cette incrimination (V. Art. 647 et 648). Le décret de 2020 en comportait 15 dont le très contesté paragraphe 12 qui ouvrait la possibilité de considérer comme acte de terroriste le fait d’embarrasser la voie publique, en y déposant, en y laissant des matériaux ou des choses quelconques dans le but d’empêcher ou de diminuer la liberté ou la sûreté du passage.
Le décret de 2020 qui a véritablement institué le terrorisme comme infraction dans le droit haïtien a été rejeté par une partie de la société civile et des juristes qui y voyaient, de bonne foi peut-être, mais dans une approche biaisée, une volonté du pouvoir de Jovenel Moïse de neutraliser ceux qui réclamaient sa démission au moyen des mouvements dits de pays lock. Une preuve qu’une lecture simpliste de ces textes complique la compréhension du terrorisme comme infraction pénale telle qu’ils l’ont définie. Sa constitution étant extrêmement complexe, cette forme de lecture la rend au contraire complètement inintelligible.
Il est dès lors nécessaire, avant de déterminer qu’un comportement constitue, ou pas, une infraction terroriste, d’en décortiquer l’ensemble de ses éléments constitutifs.
II. Les éléments constitutifs de l’infraction terroriste
À la lecture des textes susmentionnés incriminant le terrorisme en Haïti, un constat s’impose : un acte terroriste est, avant tout, une infraction de droit commun. Si le constat s’arrête là, toute réflexion sur le terrorisme comme infraction pénale est toutefois considérablement biaisée ; c’est le piège dans lequel des juristes haïtiens se sont empêtrés. En effet, pour être qualifié de terrorisme, l’acte matériel (A) doit avoir été commis dans un contexte terroriste (B) avec l’objectif bien déterminé de troubler l’ordre public (C). Encore faut-il que tout ait été fait de manière intentionnelle (D). Ces éléments étant cumulatifs, l’absence de l’un d’entre eux suffit à compromettre la qualification de terrorisme.
A. Éléments matériels du terrorisme : des infractions de droit commun
Les actes matériels du terrorisme regroupent un ensemble de comportements déjà réprimés par le droit pénal. Ce sont, entre autres : assassinat, enlèvement et séquestration ; détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport ; vols, extorsions, incendies, destructions, dégradation de biens publics ou privés ; détention, port et transport illicites d’armes et de munitions ; fabrication ou détention d’engins meurtriers ou explosifs ; association de malfaiteurs ; recel de produits de ces infractions, etc…
Ces infractions dites de référence à la qualification de terrorisme requièrent de leurs auteurs une action positive. Dans certains cas, très minime, aucun acte matériel n’est nécessaire. Le nouveau Code pénal a introduit en effet dans la législation haïtienne une infraction terroriste matérialisée indépendamment de toute intention terroriste qui est consommée selon l’article 649 par le simple fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à des actes de terrorisme. Cette disposition pourra à l’avenir fonder des poursuites engagées contre les conjoints ou autres proches des chefs de gangs dont les forfaits seront juridiquement qualifiés de terrorisme.
On l’aura compris, dans la majorité des cas, l’acte matériel incriminé fait objectivement partie de la liste des infractions de référence prévues par la loi.
Néanmoins, l’analyse de l’acte matériel au prisme de l’infraction de référence est insuffisante à elle seule pour le qualifier de terrorisme. Pour ce faire, il doit avoir été réalisé dans un contexte spécifique, en l’occurrence celui d’une entreprise terroriste.
B. Le contexte de l’infraction : une entreprise terroriste
La qualification de l’infraction terroriste nécessite une démarche en plusieurs étapes dont la première consiste à vérifier rigoureusement l’existence de l’infraction de référence en cause ; ensuite, il s’agit de déterminer que l’infraction a été commise dans le cadre d’une entreprise terroriste. Ce n’est qu’après ces préalables, si l’ensemble des éléments est prouvé, que les actes peuvent recevoir pénalement l’étiquette de terrorisme.
Le terrorisme ne peut donc être caractérisé par la seule considération des actes matériels visés par la loi, lesquels sont en effet subordonnés au mode opératoire du délinquant, au processus d’organisation de son crime et à la finalité qu’il poursuit en les commettant. Il faut donc obligatoirement les analyser en fonction du contexte particulier de leur commission, c’est-à-dire en relation avec une entreprise individuelle ou collective à visée terroriste.
Cette entreprise mentionnée ici doit être appréhendée au sens d’une association de malfaiteurs formée en vue de la préparation d’une infraction à caractère terroriste. Cela n’exige pas néanmoins que les actes terroristes soient systématiquement commis par plusieurs personnes. L’adverbe individuellement utilisé dans le texte d’incrimination a ainsi rendu possible la poursuite pour terrorisme ceux agissant sans aide d’un complice ou coauteur. Un loup solitaireconstitue ainsi à lui seul une entreprise terroriste.
En intégrant cette notion d’entreprise dans la définition de cette infraction, le législateur souhaite indiquer que l’action terroriste envisagée, en groupe ou sans compagnie, nécessite obligatoirement une certaine préparation, d’organisation et de stratégie avec pour finalité d’atteindre l’objectif terroriste visé. C’est ce qu’a décidé par exemple la Cour de cassation de la République française dans un arrêt rendu en octobre 1995 (V. Cass. Civ. 1ère, 17 octobre 1995, n° 93-14.837).
Il est dès lors impossible de considérer un acte criminel fortuit, isolé et non prémédité comme résultant d’une entreprise terroriste. Dans l’arrêt précité, la Haute instance judiciaire française a également jugé que le dépôt d’une charge d’explosifs ne constituait pas un acte de terrorisme dès lors que le fait en question était un acte isolé.
Le fait de citer une jurisprudence de la justice française dans ce travail n’est pas incompatible avec cette nouvelle incrimination dans le droit pénal haïtien, car l’infraction de terrorisme telle que définie par le législateur haïtien est fortement inspirée sur celle du code pénal français.
En tout état de cause, le texte répressif exige pour que la qualification de terrorisme soit retenue que l’entreprise poursuive le but spécifique de troubler l’ordre public par la terreur.
C. La finalité de l’entreprise terroriste : troubler l’ordre et la paix publics par la terreur
Qu’elle soit individuelle ou collective, l’entreprise terroriste doit, selon la définition retenue à l’article 1er du décret de 2020, avoir pour objectif de troubler, au nom d’une cause affirmée ou non par la terreur, l’ordre et la paix publics. Le Nouveau Code pénal en son article 647 reprend cette condition en ajoutant deux mots : intimidation puis l’adverbe gravement. Ainsi, pour être terroriste selon le nouveau Code pénal haïtien, l’entreprise doit avoir pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.
Le dictionnaire Larousse définit l’intimidation comme l’action d’intimider par la force, la violence ou la ruse. C’est donc le fait d’inspirer chez quelqu’un un sentiment de crainte ou de peur en raison d’une menace. Quant à la terreur, il la présente comme une peur violente qui découle d’une situation, d’un événement ou d’une personne dont la seule connaissance effraie, terrorise ou paralyse toute une collectivité. En plaçant le mot intimidation avant celui de terreur, le législateur semble créer une hiérarchisation donnant à la terreur une plus grande importance en raison de ses conséquences plus considérables et dévastatrices sur l’individu, ou la société d’une manière plus générale.
Dans l’exercice de qualification du terrorisme, à cause de l’ajout de l’adverbe gravement dans la définition, il faut nécessairement aller plus loin que le simple acte matériel pour systématiquement regarder la nature du but fixé par l’entreprise terroriste, individuelle ou collective, afin de déterminer si celui-ci est susceptible d’impacter ou de déstabiliser de manière considérable le fonctionnement de la société ou de l’État. La loi exige donc de l’entreprise un dol spécial, c’est-à-dire une mens rea de faute subjective d’intention spécifique avec le dessein de troubler gravement l’ordre public. Cela permet d’écarter dans le champ d’application du terrorisme, pour ne pas trahir la volonté du législateur, un acte qui, de par sa nature, ne peut en aucune manière faire naître un climat d’intimidation ou de terreur susceptible de troubler considérablement l’ordre public. C’est ainsi que la Cour de cassation française avait en 2017 validé un arrêt de la Chambre de l’instruction refusant de qualifier de terrorisme des opérations de sabotage menées par des militants sur des catenaires de plusieurs lignes de train à grande vitesse : il n’y avait pas de preuves que les infractions en cause avaient été commises en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par la terreur (V. Cass. Crim. 10 Janvier 2017, n° 16-84. 596).
La finalité de l’entreprise et le degré des conséquences de l’acte réalisé ou envisagé sur la collectivité peuvent être alors considérés comme l’instrument de mesure aux mains des juges qui, seuls dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation des faits, peuvent étiqueter une entreprise de terrorisme.
En toute état de cause, l’auteur de l’acte de terrorisme, agissant seul ou en groupe, doit le faire de manière consciente et volontaire. Un élément intentionnel est alors exigé.
D. L’élément intentionnel de l’infraction de terrorisme
Pour qu’un acte puisse être qualifié de terroriste, l’article 1er du décret de 2020 pour le renforcement de la sécurité, dont le contenu a été repris à l’article 647 du Nouveau Code pénal, exige que son auteur ait agi intentionnellement en relation avec une entreprise terroriste.
Le terrorisme n’est donc caractérisé que si l’infraction de droit commun de référence a été réalisée dans les conditions de sa constitution, mais en relation avec une entreprise qui se donne pour objectif de troubler par l’intimidation ou la terreur, l’ordre et la paix publics. Autrement dit, le délinquant doit avoir voulu commettre non seulement l’infraction en question avec le cas échéant un résultat précis, mais aussi dans le cadre d’une entreprise dont le but est d’intimider voire déstabiliser la société par le chaos, la peur et l’effroi.
La loi exige donc un élément moral à deux niveaux. D’abord à celui de l’entreprise, qu’elle soit collective ou individuelle, ensuite à celui de l’auteur des actes.
Ainsi un individu ayant commis un assassinat, pour le condamner au chef d’acte de terrorisme, il faut prouver à la fois un dol général, c’est-à-dire la volonté qu’il avait de commettre l’infraction, mais aussi un dol spécial qui renvoie à sa volonté de tuer. Ensuite, dans le cadre de la caractérisation de l’infraction de terrorisme, au sens de la définition légale, il faut prouver un élément moral spécifique, soit un dol aggravé, consistant à démontrer que l’acte d’assassinat a été perpétré intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler par l’intimidation ou la terreur, l’ordre et la paix publics. En l’absence de ce dol aggravé, la qualification de terrorisme ne pouvant être retenue, on retombe dans le droit commun, et seule une condamnation pour assassinat est possible.
C’est de cette exigence que découle le caractère particulier du terrorisme et sa distinction avec les infractions de droit commun.
En ce sens, afin de ne pas galvauder la notion, l’exercice de qualification doit être fait non pas sous l’angle de l’acte commis, déjà une infraction de droit commun, mais sous celui de la finalité poursuivie par l’entreprise ou son auteur si celui-ci agit en solitaire. À ce titre le professeur André Christophe affirme que le terrorisme comme infraction pénale renvoie moins à l’acte en lui-même qu’à son but (André Christophe, Droit pénal spécial, Dalloz, 6ème éd., 2021, p. 399). Le docteur Yves Mayaud abonde dans ce sens et réfute l’idée de regarder les actes de terrorisme dans leur simple matérialité car cette approche engendre, affirme-t-il, une confusion entre l’acte terroriste et l’infraction de droit commun qui est pourtant un de ses éléments constitutifs (Mayaud Yves, Terrorisme, Rép. Pénal. Dalloz, 2020 § 160).
Ainsi, contrairement à des positions populaires exprimées dans les médias haïtiens dans le passé lors de la publication par le feu président Jovenel Moïse du décret de 2020 intégrant le terrorisme comme infraction à part entière dans le droit haïtien, le simple fait pour un individu de placer et de brûler des pneus sur la chaussée ne peut aucunement à lui seul être considéré comme un acte de terrorisme au sens de cette nouvelle législation. Par contre, certains gangs haïtiens commettent des actes susceptibles d’être qualifiés de terrorisme ; en effet, par leur nature, leur degré de gravité, leur impact sur la société et sur le fonctionnement démocratique des institutions de l’État, leur violence, leurs revendications prouvant l’existence d’une entreprise criminelle et accentuant la volonté de celle-ci de troubler l’ordre public par la terreur et l’intimidation rentrent indubitablement dans cette qualification.
Conclusion
Le terrorisme étant une infraction d’une gravité extrême, le législateur impose, pour sa caractérisation, comme pour toute autre infraction aussi grave, un ensemble de conditions qui doivent toutes être réunies. Ainsi, l’analyse de ces infractions nécessite une approche rigoureuse, prenant en considération tous les éléments, contextes et circonstances de leur commission.
Ainsi, le fait de causer la mort d’autrui peut être, en fonction des circonstances et de l’intention de son auteur, qualifié de différentes manières. L’acte involontaire causant la mort est un homicide involontaire ; s’il est volontaire, c’est un meurtre ; mais en cas de préméditation, un assassinat ; réalisé intentionnellement en relation avec une entreprise terroriste, c’est du terrorisme ; commis dans le cadre d’une guerre en violation des lois de la guerre, il peut être qualifié de crime de guerre ; dans d’autres circonstances, un crime contre l’humanité, voire un génocide s’il est réalisé en exécution d’un plan concerté visant la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique ou religieux.
Par conséquent, s’agissant du terrorisme, en l’absence d’un contexte terroriste, la qualification retenue doit être celle de l’infraction de référence. L’importance de la distinction entre terrorisme et les infractions de droit commun réside dans le fait que leur régime est fondamentalement distinct tant au niveau des peines qu’à celui de la procédure. Les peines prévues pour le terrorisme sont plus lourdes. Ainsi, le décret de 2020 prévoit à l’article 2 al. 1 une peine de 30 à 50 ans d’emprisonnement pour toute personne physique jugée coupable d’actes de terrorisme et une amende de 2 à 200 millions de gourdes. Le nouveau Code pénal, non encore en vigueur, quant à lui prévoit en son article 650 une graduation des peines en fonction de la gravité de l’infraction de référence qualifiée de terrorisme visée à l’article 647. La peine peut être soit délictuelle soit criminelle ; la plus importante étant la perpétuité lorsque l’infraction de référence est punie de 30 ans de réclusion criminelle comme le cas du viol ayant entraîné la mort de la victime prévue à l’article 299, 1°. Par ailleurs, le délai de prescription de l’infraction terroriste sera largement plus long que celui prévu pour les infractions de droit commun lorsque le nouveau Code de procédure pénale sera en vigueur (V. art. 40).
On le voit donc, l’exercice de qualification de l’infraction de terrorisme est complexe, et nécessite une bonne connaissance du droit pénal. Autrement, le risque est grand de prendre pour du terrorisme une simple contravention ou un délit ordinaire, ou au contraire de ne pas considérer comme terroriste un acte relevant nécessairement de ce registre.
Windy Phele
Docteur en droit pénal et sciences criminelles / Université de Strasbourg
Étudiant avocat inscrit à l’École du Barreau du Québec
Journaliste
E-mail : windyphele@yahoo.com