Depuis quelque temps, la capitale haïtienne est envahie par des tas d’immondices, aggravant une crise sécuritaire et humanitaire déjà préoccupante. Cette situation est devenue une urgence sanitaire. Pour aborder la gestion des déchets en temps de crise, Passion Info Plus a interrogé plusieurs acteurs, dont un responsable de voirie et un médecin.
À Pétion-Ville, notamment près de l’ancien cimetière, des tonnes de détritus obstruent la chaussée, perturbant la circulation, notamment pour les chauffeurs de Tap-Tap. “C’est notre quotidien. La mairie peine à débarrasser les ordures. C’est pire quand on les brûle et que la fumée nous asphyxie,” se lamente Jean-Pierre, un chauffeur.
Depuis le 29 février 2024, la violence accrue dans la capitale a poussé des centaines de milliers de personnes à se réfugier à Pétion-Ville et Haut-Delmas. Cette migration massive a exacerbé la crise des déchets, les villes n’étant pas préparées à accueillir autant de personnes. Fabienne Dorvil, étudiante à l’INAGHEI, une entité de l’Université d’État d’Haïti, souligne que l’éducation insuffisante et l’urbanisation chaotique aggravent ce fléau.
“On ne peut pas remédier à cette situation du jour au lendemain. Le type d’éducation reçu par la population est pour beaucoup dans ce fléau. La plus grande préoccupation demeure l’urbanisation catastrophique des villes,” a-t-elle déclaré, proposant aux dirigeants de réfléchir à un plan de réaménagement territorial pour pallier le problème.
Efforts municipaux
Robenson Pierre, directeur de voirie à Delmas, explique que son service nettoie la ville quotidiennement, en utilisant dix camions capables de transporter chacun 45 m³ de déchets. “Pour opérer d’arrache-pied dans la gestion des déchets, le service de voirie dispose de plusieurs matériels. Chaque jour, nous avons dix camions qui enlèvent quarante-cinq mètres cubes de détritus chacun dans toute la commune,” a indiqué le responsable.
Ces déchets sont transportés au site de Tutier, Titanyen, où ils sont triés pour recyclage ou incinération. Cependant, la collecte directement chez les habitants est difficile.
M. Pierre insiste sur l’importance de l’éducation pour responsabiliser la population et améliorer la situation.
Le directeur souligne que la crise sécuritaire n’est pas sans conséquences sur la gestion des déchets, surtout en raison des changements démographiques liés aux déplacés.
Risques sanitaires
Le Dr Kerry Norbrun, lors de notre entretien, a exposé les risques liés à la mauvaise gestion des déchets. La présence de décharges à ciel ouvert entraîne une pollution de l’air, des sols et de l’eau, posant des risques pour la santé publique. Les déchets plastiques, particulièrement problématiques, endommagent les écosystèmes et sont difficiles à éliminer.
“L’accumulation de déchets non traités et mal gérés crée un environnement propice à la propagation de maladies infectieuses. Les déchets non collectés et abandonnés dans les rues et les cours d’eau servent de sites de reproduction pour les vecteurs de maladies tels que les moustiques, les mouches et les rongeurs, augmentant ainsi le risque de maladies telles que le paludisme, la dengue, le chikungunya, la dysenterie, l’hépatite, les infections bactériennes, la leptospirose et la fièvre hémorragique,” affirme Kerry Norbrun.
“Les diarrhées et les infections intestinales, causées par la contamination des aliments et de l’eau par les déchets, sont fréquentes et peuvent entraîner des maladies potentiellement mortelles, en particulier chez les jeunes enfants et les personnes âgées,” ajoute-t-il.
Environnement et santé
La gestion inadéquate des déchets pollue les sols, réduisant la fertilité des terres agricoles. Les émissions provenant de l’incinération non contrôlée produisent des gaz à effet de serre, dégradant la qualité de l’air et provoquant des problèmes respiratoires et cardiovasculaires, soutient le médecin.
Les décharges, selon lui, polluent également les eaux souterraines, affectant la qualité de l’eau potable et augmentant les risques de maladies hydriques comme le choléra et la typhoïde. Les écosystèmes aquatiques sont également touchés, avec des impacts négatifs sur la qualité de l’eau et la mortalité des espèces.
Les populations utilisant de l’eau contaminée sont exposées à un risque accru de maladies d’origine hydrique, telles que le choléra, la dysenterie, la fièvre typhoïde et l’hépatite. En outre, les écosystèmes aquatiques sont affectés, avec une réduction de la qualité de l’eau, la perturbation des chaînes alimentaires et la mort massive de poissons et d’autres espèces aquatiques, alarme-t-il.
Solutions proposées
Le Dr Norbrun propose une approche holistique pour la gestion des déchets en temps de crise, impliquant des améliorations infrastructurelles et politiques, tout en prenant en compte les aspects économiques, sociaux et environnementaux. Il recommande de :
Renforcer les infrastructures de collecte et de traitement des déchets, promouvoir la collecte sélective, le compostage et le recyclage, renforcer les réglementations environnementales, sensibiliser la population, impliquer les autorités locales et les institutions régionales.
La gestion inadéquate des déchets est un défi sanitaire majeur pour la population haïtienne, déjà confrontée à une crise multifactorielle. La coopération entre le gouvernement, les organisations internationales, les ONG et la société civile est cruciale pour trouver des solutions durables.